MEDITATION ET NEUROSCIENCES : A LA DECOUVERTE DU CERVEAU ENTROPIQUE
LA MESURE DE L'ACTIVITE CEREBRALE
Nos outils de mesure pour évaluer l'activité de notre cerveau ne cessent de se perfectionner. Aujourd'hui, en 2021, les techniques sont multiples et vont de l'enregistrement intracérébral à l'IRM multimodale, en passant par l'EEG classique, intégrant des logiciels de calculs et d'analyse de plus en plus innovants. Les états de conscience dits modifiés ne sont plus considérés comme des états magiques titillant l'oeil des plus sceptiques, mais comme de véritable phénomènes naturels, normaux ou pathologiques, signes de vie et d'adaptation, prenant corps dans la matière cérébrale. Oui, il se passe quelque chose lorsque l'on médite, comme lorsque nous faisons n'importe quelle autre activité. Nos différents états de conscience dépendent essentiellement de trois variables : la connectivité structurale, c'est-à-dire la façon dont nos réseaux cérébraux sont constitués sur le plan anatomique, la dynamique locale d'excitation/inhibition des neurones et la neuromodulation (processus par lequel plusieurs classes de neurotransmetteurs du système nerveux régulent plusieurs populations de neurones) (Cofré et al., 2020). Ces trois variables évoluent toutes au cours du temps à des échelles très variables, de sorte que notre cerveau est en perpétuel mouvement.
Si nous avons tant besoin d'un marqueur de l'activité cérébrale de méditation, c'est parce que la science doit pouvoir prouver que les sujets étudiés expérimentent bien une pratique de méditation, et ne sont pas tout simplement en train de se relaxer. La méditation est un processus attentionnel extrêmement actif, comme le rappelle Matthieu Ricard dans l'un de ses livres sur le cerveau et la méditation (Ricard & Singer, 2017). Les méthodologies utilisées pour étudier les corrélats neuronaux de nos états mentaux ont des avantages et des inconvénients, c'est pourquoi souvent elles se complètent (Pasquinelli, 2016). Par exemple, l'IRM fonctionnelle est très performante en termes de résolution spatiale, mais assez limitée en termes de résolution temporelle. Avec l'EEG, c'est l'inverse, la résolution temporelle est excellente, à la milliseconde près, mais la résolution spatiale est approximative, car elle donne une indication de la somme des activités électriques neuronales sous-jacentes. En multipliant les points de mesure, on améliore cependant
a minima la résolution spatiale.
LES DIFFERENTS ETATS MEDITATIFS
John Kabat-Zinn définit la pleine conscience comme un « état de conscience qui résulte du fait de porter son attention, intentionnellement, au moment présent, sans juger, sur l’expérience qui se déploie instant après instant » (Kabat-Zinn, 2003). Seulement voilà, la méditation revêt de multiples possibilités d'activation cérébrale selon l'objet de travail, et même au sein d'une pratique pseudo-homogène que l'on appelle la pleine conscience : l'activité de notre cerveau est différente selon l'objet de notre focalisation attentionnelle (respiration, petit orteil gauche ou autre partie du corps, émotions, pensées) (Weng et al., 2020). Les corrélats neuronaux ne sont pas les mêmes, que l'on soit en train de méditer selon un processus d'attention focalisée, ou au contraire selon une attention ouverte, ou encore que l'on médite sur la compassion ou l'amour bienveillant (Raffone et al., 2019). Pourtant, selon Thanh-Lan Ngô, ces types de pratique font toutes parties de ce que l'on appelle la méditation de pleine conscience (2014). Nous verrons dans cet article que cette expérience se réfère non pas à un état mais à une succession d'états mentaux.
DES ACTIVATIONS COMMUNES ET DIFFERENTES SELON LE TYPE DE MEDITATION
La méditation selon une attention focalisée, ouverte ou la méditation sur l'amour bienveillant ont tout de même toutes les trois un pattern d'activation commun, selon l'étude de Yordanova et al. (2020). La méthode de cohérence EEG utilisée dans cette étude permet de mettre en évidence des patterns reflétant une activation synchrone au sein du cerveau, et donc de déterminer les zones qui fonctionnent ensemble pour une activité donnée. La présence de synchronisation selon des bandes de fréquences Gamma, qui sont des ondes très rapides d'une fréquence de plus de 30 Hz, a été largement retrouvée dans les états méditatifs, quels qu'ils soient (Vivot, 2020).
Dans l'étude de Yordanova et al., les auteurs ont aussi observé une large distribution de réseaux fonctionnant sur la fréquence des ondes Delta. Ces ondes cérébrales oscillant entre 0,5 et 4 Hz sont les plus lentes et les plus amples ondes détectables, caractéristiques d'un sommeil profond, réparateur. D'autre part, ils ont observé des réseaux d'activation fonctionnant à la fois sur un rythme Thêta au sein de l'hémisphère gauche, notamment postérieur, et sur un rythme Alpha au sein de l'hémisphère droit, notamment pariéto-occipital. Les ondes Thêta, d'une fréquence de 4 à 8 Hz, sont impliquées dans la relaxation profonde et le sommeil paradoxal, ce stade de sommeil si particulier pendant lequel nous vivons nos rêves les plus scénarisés. Les ondes Alpha, quant à elles, fonctionnent sur un rythme de 8 à 12 Hz, et signent l'éveil calme, les yeux fermés, ou une relaxation légère. Tous ces types d'ondes cohabitent dans le cerveau et la prépondérance d'un ou de plusieurs types d'onde par rapport aux autres est un marqueur de l'état de conscience du sujet.
Ce qui différencie un type de méditation d'un autre, serait, d'après Yordanova et al., la latéralisation droite ou gauche de réseaux fonctionnant sur un rythme rapide (au delà des fréquences des ondes Bêta). Les ondes Bêta ont une fréquence de 12 à 30 Hz, et signent une activité de veille active, au même titre que les ondes Gamma. Les auteurs concluent que l'état méditatif est caractérisé de façon globale par une asymétrie fréquentielle inter-hémisphérique, et que la latéralisation de réseaux de fréquences rapides déterminent les processus mentaux spécifiques à chaque type de méditation.
Ainsi, il n'est pas exact de parler de méditation comme d'un processus homogène, et il n'est donc pas possible de « moyenner » entre eux les différents types de méditation pour comprendre leurs mécanismes et leurs implications cliniques. C'est ce que soulignaient il y a 10 ans déjà Travis et Shear dans un article relatant les méditations pratiquées selon les traditions védiques, bouddhistes ou chinoises (2010).
MEDITER, C'EST ACCUEILLIR UN MOUVEMENT CEREBRAL INCESSANT
Comme l'explique Marie-Elisabeth Faymonville, « Au cours d’une journée, nous ne faisons que passer d’un état de conscience à l’autre » (Sender, 2016). Il est donc difficile de mesurer l'activité cérébrale liée à un état de conscience à un instant t, tant cette activité est inconstante et changeante. C'est pourquoi les études fréquentielles en EEG ont toute leur importance dans ce domaine. Hasenkamp et Barsalou ont cependant réussi à mettre en évidence en IRM fonctionnelle ce mouvement cérébral incessant au sein même de la pratique méditative dite d'attention focalisée : ce type de méditation n'est pas un seul état, mais bien une succession d'états impliquant le système de contrôle exécutif, le système de saillance et le réseau mode par défaut, notre fameux réseau du « vagabondage mental » (2012). La méditation avec attention focalisée est donc définie par l'implication successive de ces réseaux, ce qui a finalement une conséquence indirecte concrète pour le pratiquant : le déculpabiliser ! Ce n'est pas parce qu'on vagabonde dans ses pensées que l'on a raté sa méditation, mais au contraire, le vagabondage devient la pierre angulaire de la pratique : revenir sans cesse, revenir sur l'objet de sa concentration.
L'ENTROPIE : UN NOUVEL INDICE REVELATEUR DES ETATS MEDITATIFS
La théorie la plus récente au sujet de la conscience avance que l'entropie de la dynamique neuronale donne une indication sur l'intensité et la qualité du contenu conscient (Carhart-Harris, 2018). L'entropie caractérise l'état de « désordre » d'un système. Autrement dit, plus des activités neuronales synchrones semblent réparties de façon désordonnée dans le cerveau, plus le niveau de conscience est élevé, résultat d'une optimisation du traitement de l'information (Erra et al., 2016).
Une étude récente parue dans Neuroscience a cherché à estimer l'entropie de fréquences d'ondes spécifiques dans trois types de méditations : attention focalisée (Himalayan Yoga), surveillance ouverte/pleine conscience (Vipassana) et conscience ouverte (Isha Shoonya Yoga) (Vivot et al., 2020). Parmi elles, Vipassana est la méditation qui induit la plus grande entropie, de façon prédominante au niveau des ondes Alpha et Gamma. Les auteurs concluent que la façon dont est distribuée l'entropie des bandes Gamma pourrait permettre de classer le type d'état méditatif vécu par un participant. Il serait dès lors intéressant de coupler ce nouveau paradigme avec la micro-phénoménologie développée par Francisco Varela et Claire Petitmengin, pour aller encore plus loin dans la caractérisation neuronale des états méditatifs (voir à ce sujet l'article publié dans Big Bang Therapy - « Voyage au cœur de l'expérience méditative »). D'après cette théorie, pratiquer la méditation permettrait donc d'augmenter notre niveau de conscience grâce à une augmentation de l'entropie de l'activité cérébrale. A l'instar, probablement, de l'Univers qui se déploie... ?
BIBLIOGRAPHIE
Carhart-Harris, R. L. (2018). The entropic brain-revisited. Neuropharmacology, 142, 167-178.
Cofré, R., Herzog, R., Mediano, P. A., Piccinini, J., Rosas, F. E., Sanz Perl, Y., & Tagliazucchi, E. (2020). Whole-brain models to explore altered states of consciousness from the bottom up. Brain Sciences, 10(9), 626.
Erra, R. G., Mateos, D. M., Wennberg, R., & Velazquez, J. P. (2016). Statistical mechanics of consciousness: Maximization of information content of network is associated with conscious awareness. Physical Review E, 94(5), 052402.
Hasenkamp, W., & Barsalou, L. W. (2012). Effects of meditation experience on functional connectivity of distributed brain networks. Frontiers in human neuroscience, 6, 38.
Kabat‐Zinn, J. (2003). Mindfulness‐based interventions in context: past, present, and future. Clinical psychology: Science and practice, 10(2), 144-156.
Pasquinelli, E. (2016, janvier). Les techniques d'imagerie cérébrale.
https://www.fondation-lamap.org/fr/page/34314/les-techniques-dimagerie-cerebrale
Raffone, A., Marzetti, L., Del Gratta, C., Perrucci, M. G., Romani, G. L., & Pizzella, V. (2019). Toward a brain theory of meditation. In Progress in brain research (Vol. 244, pp. 207-232). Elsevier.
Ricard, M., & Singer, W. (2017). Cerveau et méditation. Dialogue entre le bouddhisme et les neurosciences. Allary.
Sender, E. (2016, 3 décembre). Le cerveau dans tous ses états.
https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/le-cerveau-dans-tous-ses-etats_107838
Thanh-Lan Ngô (2014, 21 mars). Pleine conscience et psychiatrie.
https://www.erudit.org/fr/revues/smq/2013-v38-n2-smq01302/1023987ar/
Travis, F., & Shear, J. (2010). Focused attention, open monitoring and automatic self-transcending: categories to organize meditations from Vedic, Buddhist and Chinese traditions. Consciousness and cognition, 19(4), 1110-1118.
Vivot, R. M., Pallavicini, C., Zamberlan, F., Vigo, D., & Tagliazucchi, E. (2020). Meditation Increases the Entropy of Brain Oscillatory Activity. Neuroscience, 431, 40-51.
Weng, H. Y., Lewis-Peacock, J. A., Hecht, F. M., Uncapher, M. R., Ziegler, D. A., Farb, N. A., ... & Gazzaley, A. (2020). Focus on the breath: Brain decoding reveals internal states of attention during meditation. Frontiers in human neuroscience, 14, 336.
Yordanova, J., Kolev, V., Mauro, F., Nicolardi, V., Simione, L., Calabrese, L., ... & Raffone, A. (2020). Common and distinct lateralised patterns of neural coupling during focused attention, open monitoring and loving kindness meditation. Scientific Reports, 10(1), 1-14.
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