L’EDUCATION THERAPEUTIQUE DU PATIENT (ETP), LE CHAINON MANQUANT POUR UNE MEDECINE INTEGRATIVE
INTRODUCTION
Le terme « éducation thérapeutique du patient » - ne révèle qu’une partie du concept [1]. Cela est source de confusion et contribue à reléguer cette pratique à la marge de la médecine ambulatoire.
En effet, l’ETP ne se résume pas à une liste de programmes déposée auprès de l’ARS afin de développer l’autonomie des patients atteints de maladies chroniques.
C’est aussi une communication thérapeutique qui permet d’instaurer une relation de qualité avec le patient et aboutit à une décision médicale partagée. Elle peut donc être mise en œuvre par tous les professionnels de santé, indépendamment de tout programme.
La formation médicale initiale en France est réputée excellente ; cependant, confrontés à la réalité du métier (à ses splendeurs, rarement - à ses misères, plus souvent), les médecins ont fait l’expérience que cette formation était incomplète et chacun s’est débrouillé comme il a pu.
Endocrinologue, exerçant en libéral après un clinicat au CHU de Bicêtre et installée à l’île de la Réunion depuis une vingtaine d’années, j’ai fait vers l’âge de 50 ans, une formation de 40 heures à l’ETP. J’ai rechigné à la faire car le nombre d’heures me paraissait exorbitant pour apprendre à « parler aux patients ».
Pourtant, des années plus tard, je découvre chaque jour les vertus de cet enseignement et j’exposerai à travers deux exemples la puissance de cette approche.
LA CONSULTATION EN DIABETOLOGIE
Dans le domaine du diabète (une personne sur dix à l'île de La Réunion), depuis une dizaine d’années, les innovations thérapeutiques et technologiques se succèdent (de nouvelles classes thérapeutiques plus efficaces – des capteurs de glucose – des pompes à insuline, la chirurgie de l’obésité).
Parallèlement, nos patients, tout en gardant une relative confiance dans le parcours prévu par l’Assurance Maladie, recherchent majoritairement des solutions « hors cadre » : les différentes activités physiques et régimes, les compléments alimentaires, la micronutrition, les objets connectés, les différentes pratiques psychocorporelles (ayurvéda, hypnose, méditation, médecine chinoise, etc.), les zherbages (phytothérapie traditionnelle très utilisée à La Réunion).
Dans ce contexte, malgré une lecture appliquée des nouvelles recommandations de la Société Francophone du diabète [2], une certaine créativité est nécessaire pour déterminer quelles sont les propositions adaptées pour ce patient particulier qui consulte.
La première consultation initie l’alliance thérapeutique. L’objectif est de recueillir les éléments médicaux et de comprendre comment le patient vit son diabète et son traitement.
En pratique, une consultation dure de 10 à 30 minutes. Même un médecin « surentraîné » devra faire des choix. Voici ma pratique, en quatre phases :
1- Recueil des éléments médicaux :
Parce que le diabète est une maladie systémique, sont nécessaires à la synthèse médicale :
- Une dizaine d’éléments d’anamnèse : l’âge du patient, l’année de découverte du diabète, le poids de découverte, l’état des yeux – du cœur, le traitement, qui prépare les repas, son mode de vie.
- Six éléments biologiques : évolution de l’hba1c (moyenne des glycémies sur 3 mois), le bon et mauvais cholestérol, les Triglycérides, la fonction rénale et la micro -albuminurie
- Une dizaine d’éléments cliniques ; poids taille périmètre abdominal indice masse corporelle, tension artérielle état des pieds, des dents, auscultation cardio-pulmonaire palpation abdominale.
Il est judicieux d’étudier ces données médicales avant de faire rentrer le patient – si le courrier du généraliste et la biologie sont disponibles, la synthèse est aisée.
2- Comment le patient vit sa maladie et son traitement ?
Quand j’accueille le patient, comme la synthèse médicale est faite, je peux entièrement me consacrer à ce qu’il va dire.
L’ETP nous apprend à poser des questions ouvertes : en général je pose une à trois questions de ce type (Voir encadré)
Exemples de questions-types de soignants favorisant la rencontre.
Extrait de G. Lagger et al [3].
– Qu’est-ce que cette maladie, selon vous ?
– Comment est-ce arrivé ? À cause de quoi ?
– Comment comprenez-vous ce qui vous arrive ?
– Concrètement, qu’est-ce que cette maladie pose comme problème dans votre vie aujourd’hui ?
– Qu’est-ce que ça veut dire, pour vous, se soigner, être soigné, se traiter ?
– À votre avis, que faudrait-il contrôler, vérifier, et pourquoi ?
– À quoi servent ces traitements, selon vous ? Où agissent-ils et comment ?
– Qu’aimeriez-vous parvenir à faire dans votre vie ?
– Quel pourraient être votre rôle et notre rôle dans cette histoire ?
– Que venez-vous chercher dans cette relation ?
– Quels sont vos souhaits par rapport à cette histoire ?
3- Ensuite tout en continuant à discuter avec le patient, je fais un examen clinique.
4- Au terme de l’entretien :
Je vérifie que j’ai compris la demande en résumant la conversation, je pointe les ressources, les difficultés rapportées.
J’énonce au patient une ou deux propositions, parfois aucune (médicament – tâche – apprentissage d’une technique ou connaissance à acquérir), je lui communique les données que je prévois de transférer au médecin traitant, en vérifiant son accord.
Si une nouvelle consultation est nécessaire, j’annonce sur quel sujet elle pourrait porter.
En diabétologie, réaliser la synthèse des données médicales juste avant de rencontrer le patient favorise la qualité de l’écoute. C’est difficile d’écouter « vraiment » en calculant le risque cardiovasculaire ou en cherchant la clairance de la créatinine.
Soulignons que cette première phase pourrait être réalisée par une intelligence artificielle, avec des propositions valables sur le plan de l’EBM.
La valeur ajoutée du praticien réside dans la rencontre avec le patient. Logiquement, cette rencontre influence le parcours.
À l’étude du seul dossier, le praticien serait enclin à proposer telle ou telle classe médicamenteuse (de préférence la dernière, par curiosité) ou proposer son dernier « coup de cœur », par exemple la micronutrition ou le sport sur ordonnance, mais le praticien avisé attend la suite de l’histoire, c’est-à-dire la rencontre avec le patient. Pour conserver son intérêt pour son métier, le praticien doit être disposé à se laisser surprendre par le patient et modifier ses propositions en conséquence.
L’expérience montre que le parcours issu de l’EBM est rarement en défaut même après la rencontre avec le patient – ce qui change essentiellement c’est sa mise en œuvre dans le temps qui appartient en propre au patient – sauf urgence vitale.
SITUATION CLINIQUE
TROIS REMARQUES A PROPOS DE L'ETP
BIBLIOGRAPHIE
1 - Éducation thérapeutique, D. Simon, PY Traynard, F. Bourdilon, R Gagnayre, A. Grimaldi, Abrégés de médecine, Elsevier Masson, 2013.
2 - Prise de position de la Société Francophone du Diabète (SFD) sur la prise en charge
médicamenteuse de l’hyperglycémie du patient diabétique de type 2. Médecine des maladies métaboliques – octobre 2017 – vol 11 – n°6.
3 - Lagger G. et al. L’éducation thérapeutique du patient : une tension entre alliance thérapeutique et techniques pédagogiques. Médecine des Maladies Métaboliques 2016 – Vol. 11.
4 - Construire la communication thérapeutique avec l’hypnose, sous la direction d’A. Bioy, T. Servillat, Dunod 2017.
5 – Lagger G. Guérir du diabète de type 2, Les éditions Ovadia, 2014.
6 – Benhamou D., Nègre I., Intégration des Pratiques Psycho Corporelles dans une équipe douleur et en anesthésie, rôle du médecin responsable. www.bigbangtherapy.com

Rédactrice de la page
Dr M. Pholséna, endocrinologue, St Pierre, La Réunion, maryse.pholsena@gmail.com