APPROCHE EN SANTE PUBLIQUE : INTERET DE L'AYURVEDA ET DU YOGA DANS LA PROPHYLAXIE DU COVID-19
Il fallait être courageux pour écrire un article, ou plutôt un commentaire, sur des pistes de prophylaxie traditionnelle pour se prémunir du COVID-19, en pleine crise sanitaire mondiale. Des auteurs indiens l'ont fait (entre autres, évidemment) ! Nous avions d'ailleurs souligné dans une chronique précédente que l'Inde était l'un des pays les plus actifs en termes de fréquences de publication sur les thérapies psychocorporelles (Cartographie mondiale des interventions pour améliorer la qualité de vie grâce aux thérapies corps-esprit au cours de la période 1990-2018). Ce commentaire paru dans The Journal of Alternative and Complementary Medicine en mai 2020 s'inscrit dans le questionnement actuel sur l'intérêt de pratiques traditionnelles, complémentaires et intégratives, dans le cadre de l'épidémie, compte tenu de la compréhension actuelle de la physiopathologie du COVID-19 (Wu & McGoogan, 2020).
LA MEDECINE TRADITIONNELLE ET COMPLEMENTAIRE : UNE OUBLIEE DE LA CRISE ?
Les médecins, et scientifiques en général, explorent en ce moment des pistes thérapeutiques médicamenteuses déjà existantes ou innovantes, mais l'intérêt général ne se dirige que très peu vers le potentiel prophylactique et thérapeutique des systèmes de médecine traditionnelle et complémentaire tels que l'Ayurveda et le Yoga. La recherche et les stratégies thérapeutiques se sont concentrées sur les agents thérapeutiques capables de neutraliser le virus ou les manières de s'immuniser contre lui. Or l'un des facteurs les plus importants dans la dynamique de la maladie est la personne qui abrite le virus et les organes-cibles qui permettent à ce virus de se multiplier. L'Ayurveda accorde une attention particulière à l'organisme humain dans son entier, et recommande des mesures pour un mode de vie sain plutôt que la simple prescription de médicaments. Le Charaka Samhita, traité médical datant de l’antiquité védique et considéré comme l'un des textes fondateurs de l’Ayurveda, décrit la gestion des épidémies et définit l'immunité comme la capacité de prévenir la maladie et d'arrêter sa progression pour maintenir l'homéostasie (Samhita, 2001).
L'éditeur de ce commentaire souligne que l'expérience et les enseignements tirés des précédentes épidémies de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) semblent insuffisants et nécessitent de meilleures approches et stratégies en matière de santé publique et de soins médicaux. Ainsi, une approche holistique et intégrative semble une piste intéressante à suivre.
L'intérêt des pratiques intégratives en situation de crise
Le concept de renforcement du corps et de l'esprit pour faire face à divers facteurs de stress, y compris l'infection, est une pierre angulaire de la pratique de l'Ayurveda. Il est désormais acquis que les mauvaises conditions de santé mentale, comme le stress ou la dépression, sont susceptibles d'augmenter le risque d'infections respiratoires aiguës (Maxwell et al., 2015). La distanciation physique et sociale liées aux mesures sanitaires ont aggravé le niveau de stress et d'anxiété de très nombreuses personnes, engendrant solitude et sentiments dépressifs. La méditation, le yoga, les exercices de respiration ont donc une place toute particulière pour nous permettre de récupérer, et possiblement... de se protéger, en ces temps difficiles.
L'approche intégrative et holistique de l'Ayurveda comprend des pratiques non pharmacologiques basées sur la personne et son environnement (alimentation, sommeil, relaxation mentale, mode de vie et yoga). Il existerait un concept d'immunité ayurvédique appelé Bala, ou force, similaire à ce que l'on appelle immunité innée ou acquise. Les interventions proposées comprennent des procédures de nettoyage thérapeutique (Panchakarma) (Vinjamury et al., 2012) et l'utilisation de certaines plantes connues pour avoir des effets immunomodulateurs (Rasayana) (Balasubramani et al., 2011). Pour renforcer le système immunitaire, des interventions de ce type, locales et systémiques, ont déjà été préconisées dans la gestion de maladies impliquant des symptômes respiratoires (Chandran et al., 2018 ; Thatte et al., 2015). Plusieurs études ont confirmé le rôle des techniques de respiration du yoga (pranayama), des postures (asanas) et des procédures (kriya yogique) dans l'amélioration de la santé pulmonaire (Papp et al., 2017). Pour une prophylaxie systémique, l'Ayurveda recommande un régime quotidien à base de soupes fraîches et chaudes de légumes (radis, feuilles de fenugrec) et des légumineuses (lentilles, haricots verts / haricots mungo, pois chiches) assaisonnées d'épices telles que le gingembre, l'ail, les graines de cumin et les graines de moutarde (Chopra et al., 2010).
Bloquer l'entrée du virus par des barrières mécaniques et chimiques
Les yeux, le nez et la bouche semblent être les principales portes d'entrée du virus SARS-COV-2. D'après les auteurs, le virus passerait quelques heures dans la gorge avant d'atteindre les poumons, et il aurait la capacité d'entrer facilement dans les cellules des muqueuses. Les pratiques ayurvédiques mentionnent plusieurs interventions susceptibles de cibler ces portes d'entrée en améliorant la réponse immunitaire innée (celle qui intervient dans la phase précoce d'une infection) au niveau des muqueuses. Par exemple, ils mentionnent la consommation d'eau chaude, de nourriture chaude et de décoctions à base de plantes. Cette recommandation a fait le tour des réseaux sociaux, prenant l'allure d'une "fake news", mais elle était sortie de son contexte ayurvédique, holistique. Elle se repose sur le fait que ces pratiques populaires peuvent être utiles pour le soulagement de symptômes dans les cas bénins, comme dans le cas d'un simple rhume ou d'une affection ORL tels que préconisés dans les textes anciens (Acharya, 2003). La consommation d'épices dans l'eau chaude aurait aussi des vertus thérapeutiques, comme le rhizome de gingembre sec, les graines de coriandre et de fenouil ou les écorces de cannelle, lorsqu'elles sont consommées tout au long de la journée (Shrungeswara & Unnikrishnan, 2019). Les textes de yoga recommandent le nettoyage du nez avec de l'eau salée. L'efficacité de l'eau salée dans les infections des voies respiratoires supérieures a été rapportée dans des essais contrôlés randomisés (King et al., 2015). Les liquides et les huiles chaudes peuvent aussi être utilisés en gargarismes ou bains de bouche pour nettoyer la bouche, la gorge, le pharynx et la région amygdalienne. L'Ayurveda recommande, notamment, l'application d'huiles végétales à base de sésame ou de noix de coco dans les narines (Vinjamury et al., 2012). Ces huiles ou décoctions huileuses recouvrent la muqueuse sous forme de biofilm et induisent non seulement une barrière physique, mais aussi des avantages immuno-modulateurs, antioxydants et antimicrobiens (Shanbhag, 2017). Les chercheurs en médecine traditionnelle chinoise ont déjà proposé l'utilisation d'huile nasale pour prévenir l'infection par le SRAS-COV-2 (Fan et al., 2020). Par ailleurs, l'inhalation de vapeur avec des huiles aromatiques, telles que le menthol, offre un soulagement clinique satisfaisant de la congestion du nez et de la gorge, des maux de tête, de la sinusite, et diminue la bronchoconstriction, avec une réduction de l'inflammation rapportée dans plusieurs études cliniques (Vathanophas et al., 2019).
Effets immunomodulateurs de plantes (Rasayana)
Le Rasayana est l'une des spécialités de l'Ayurveda. L'utilisation de certaines plantes sont utilisées pour améliorer la qualité des tissus du corps humain, retarder le vieillissement cellulaire et stimuler l'immunité. Ainsi, pour cette dernière propriété, le traitement par Rasayana peut avoir un intérêt dans la prophylaxie et la gestion de l'infection par le SRAS-COV-2. Des auteurs chinois ont décrit une réponse immunitaire singulière pouvant se manifester dans la deuxième phase de l'infection au SRAS-COV-2 : l'"orage cytokinique" (Shi et al., 2020). Cette inflammation sévère entraîne des lésions pulmonaires et une défaillance simultanée de plusieurs organes. Ainsi, bien que les antiviraux soient importants, une réponse immunitaire robuste pour maintenir l'homéostasie immunitaire pourrait être essentielle pour une bonne récupération et réduire la mortalité. Plusieurs plantes botaniques Rasayana décrites dans l'Ayurveda sont connues pour renforcer l'immunité dans la pratique clinique, grâce à leurs effets immunomodulateurs (Balasubramani et al., 2011). Il serait donc intéressant de les envisager en prophylaxie ou en traitement complémentaire pour le COVID-19. Les auteurs mentionnent par exemple la pertinence d'une utilisation de la plante Ashwagandha, lorsqu'elle est consommée de manière appropriée. Cette plante a déjà montré un bénéfice clinique dans l'inflammation, l'arthrite et le cancer, mais aussi dans plusieurs autres troubles (Singh et al., 2011). Les auteurs ont d'ailleurs démontré que les effets cliniques de la formulation ayurvédique contenant de l'Ashwagandha étaient équivalents à l'hydroxychoroquine dans un essai contrôlé randomisé pour le traitement de la polyarthrite rhumatoïde (Chopra et al., 2012). Ainsi, les auteurs proposent que l'Ashwagandha pourrait avoir un effet prophylactique (antiviral, renforcement immunitaire, intégrité vasculaire) et curatif pour certains symptômes (action sur la fièvre, anti-inflammatoire, préservation des alvéoles pulmonaires). Des recherches devront être menées pour en déterminer l'efficacité clinique dans le cas du COVID-19.
CONCLUSION
En conclusion, des systèmes de soins médicaux et de santé modernes sont mis à l'épreuve pour une gestion efficace du COVID-19. Les auteurs rappellent que "mieux vaut prévenir que guérir", tout en soulignant l'importance de la médecine thérapeutique conventionnelle pour limiter la menace vitale des personnes infectées. Les mesures simples et réalisables basées sur l'Ayurveda et le Yoga pourraient être rapidement annoncées dans des campagnes de santé publique par le biais de médias. Le gouvernement indien a déjà publié un avis très utile dans ce contexte. Plusieurs auteurs se saisissent de cette opportunité pour proposer une méthode intégrative à la gestion de la pandémie de COVID-19, et espèrent attirer l'attention des parties prenantes, y compris l'Organisation Mondiale de la Santé, sur le potentiel inexploré des médecines traditionnelles dans la recherche de solutions pour la crise du COVID-19.
L'auteur principal du commentaire, le Pr Patwardhan, est affilié au Centre de santé complémentaire et intégrative de l'Université Savitribai Phule Pune, en Inde. Il est l'un des 18 experts scientifiques du groupe de travail gouvernemental interdisciplinaire pour la recherche et le développement de la coordination thérapeutique contre le COVID-19. Il écrit donc ici un commentaire ambitieux, pour préparer au mieux les populations indiennes (et donc les autres!), et ouvrir des perspectives sur la façon de résister au COVID-19 et aux futures menaces virales.
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